Les compañeros républicains espagnols exilés à Toulouse que mes parents invitaient pour le repas du dimanche n’arrivaient jamais avant 14h. Ils semblaient tous en stand-by et bien qu’en mauvais état, prêts à reprendre le combat contre la dictature franquiste. Certains n’avaient de fait jamais cessé et continuaient d’une manière ou l’autre. Cano s’amusait à nous faire peur, à nous les gosses, en nous montrant sa main droite à laquelle il manquait deux doigts. Papa disait que Cano avait réussi à se faire la malle de Buchenwald ce qui laissait tout le monde pantois, en croisant son regard plein de malice on comprenait bien qu’il avait été assez malin pour s’en sortir.
Boticario qui avait été amputé d’une jambe se battait avec ses cannes anglaises sur lesquelles avec du chatterton jaune et violet — les couleurs de la République disait-il — il avait entouré les appuis avec de la mousse. Pour monter les trois étages jusqu’à notre HLM du Mirail, c’était tout un cirque.
J’ai donc été biberonné aux batailles de la guerre civile espagnole racontées autour des tapas que maman préparait. Mes parents croyaient dur comme fer que l’existence consistait à se retrousser les manches et aller au combat pour la justice, même si on risquait de prendre une balle dans le bras comme papa l’avait fait. Quand il retroussait sa manche pour montrer comment une balle explosive franquiste n’avait pas réussi à lui emporter le biceps, mes copains que ma mère avait appelés depuis le fenêtre pour qu’ils viennent goûter au dessert soudain ne rigolaient plus et ressemblaient à l’émoticon qui a deux billes à la place des yeux. On se demandait comment ce bras fonctionnait encore. Je dois dire que cela lui donnait l’autorité certaine du résistant maquisard qui aprés avoir échappé aux phalanges franquistes, appuyait les forces de libération de ses talents de guérillero et de passeur.
Je peux imaginer qu’en étant né au sein d’une famille bourgeoise au parcours moins mouvementé la figure d’un Jésus de Nazareth plus consensuelle et suave voire lisse serait devenue une figure d’identification.
Je préférais donc le Jésus militant qui ne lâchait rien sur les questions de justice et prenait le parti des plus humbles. Ce Jésus là me paraissait bien plus pertinent que celui mort et accroché à une croix dans l’église de la Dorade en bord de Garonne qui semblait nous souffler que le combat pour la justice se solderait par un échec.
L’Evangile dit que Jésus ramassa dans le Temple des bouts de cordes qui traînaient pour en faire un fouet et en chasser les marchands. Chacun prendra ce qu’il a pour pousser le monde vers plus de justice.
Ces textes sont des reprises d’articles qui traînaient dans mes tiroirs et le plus souvent des adaptations des prédications écrites dans le cadre de mon ministère pastoral et d’aumônerie dans le grand Lausanne.