Mon chien Tarzan m’attend patiemment à l’entrée de la grande surface le temps que je fasse mes courses. Après les caisses je le retrouve entouré de deux petites filles pas beaucoup plus hautes que lui.
-« Monsieur il est gentil votre chien est-ce que je peux le caresser ? » me demande la plus grande.
-« Bien sûr tu peux il est très gentil et en plus il adore qu’on lui fasse des câlins »
– « Il s’appelle comment ? » me demande la plus petite encouragée par l’audace de sa grande sœur.
– « Il s’appelle Tarzan. » Les deux se regardent et éclatent d’un grand rire:
-« Tarzan c’est un drôle de nom ! » me répond la plus grande.
– « Je sais… les gens donnent des drôles de noms à leurs chiens… tu as un chien toi aussi ? »
Leur regard s’attriste:
– « Non je n’en ai plus… ma tante en Afghanistan en avait un et il me manque beaucoup. »
Elle est donc une petite réfugiée afgane, et son regard d’enfant qui s’est soudain figé me pousse à changer de sujet:
– « Et toi comment t’appelles-tu ? «
– » Je m’appelle Kabu et ça veut dire Colombe » me répond-elle.
Le ton linéaire et sans hésitation de sa réponse m’a fait réaliser qu’à l’école ou ailleurs, à des gens comme moi, elle a expliqué des dizaines de fois son étrange prénom.
Deux petites colombes parlaient à mon chien, arrivées là comme emportées par le vent violent d’un orage et déposées très loin de chez elles.
C’est cela un migrant, une vie arrachée à sa langue, à sa terre, à son histoire, à son chien et qui se retrouve comme soulevé par une tornade qui le transporte à l’autre bout du monde.
Je me souviens que c’est une colombe qui a rapporté à Noé dérivant sur son arche un rameau d’olivier, lui redonnant espoir et annonçant la fin de l’errance. Une fois revenu de son errance en Égypte, c’est une colombe qui descendra sur Jésus lors de son baptême pour lui signifier que l’Esprit allait lui donner d’être force de transformation et de libération. Colombe un joli prénom qui dit la fragilité de la vie et résonne des promesses de l’avenir.
Après avoir fait mes courses, à la sortie des caisses j’ai rencontré deux petites colombes qui s’entretenaient avec mon chien. Dans leurs yeux brillait cette expression amusée à l’idée que dans cet étrange et nouveau pays qui devenait le leur on puisse appeler un grand chien Tarzan.
L’éclat de leur rire d’enfant en entendant son nom et le petit geste de la main plein d’affection par lequel elles disaient au revoir à Tarzan resteront gravés dans mon esprit.
Richard Falo