L’an passé j’ai assisté au meeting Athlétissima au stade de la Pontaise à Lausanne. Je précise que je n’y connais rien en athlétisme. Je pensais naïvement qu’une course c’est une course, et que celui qui court le plus vite logiquement gagne. Eh bien pas du tout ! Lors de la première course un coureur s’est immédiatement imposé et a fait la course seul en tête. Il distançait superbement tout le monde quand de manière inexplicable au dernier tour il a abandonné. J’ai pensé qu’il s’était fait mal, pourtant il ne se tordait pas de douleur et j’ai trouvé ça bizarre…
Eh bien figurez-vous qu’à la course suivante la même chose s’est produite. Au dernier tour celui qui jusque-là avait été impérial a abandonné lui aussi sans raison apparente.
Ma compagne qui s’y connait en athlétisme m’a expliqué qu’il s’agissait d’un coureur acheté qu’on appelle « le lièvre ». Le lièvre est embauché pour imposer au suivants la cadence la plus élevée. Il court comme un dératé tant qu’il peut puis, à bout de souffle et au dernier tour, il abandonne pour laisser la place aux champions qui avec l’énergie du désespoir se lancent dans le sprint final.
Le « lièvre » est au coureur de fond ce que Jean-Baptiste a été pour Jésus. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé en lisant l’Evangile de ce deuxième dimanche de l’Avent :
« Début de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Comme il est écrit dans le prophète Isaïe, « J’envoie mon messager devant toi, qui préparera ton chemin ; la voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez ses chemins droits, » … Jean était vêtu de poils de chameau, avec une ceinture de cuir autour de la taille, il mangeait des sauterelles et du miel sauvage et proclamait : « Celui qui est plus puissant que moi vient après moi… Je vous ai baptisé avec de l’eau ; mais il vous baptisera du Saint-Esprit. » Marc 1 :1-8
Les précurseurs sont souvent des héros méconnus. Ils n’attirent qu’une attention minimale, car ils ne sont juste que cela : précurseurs. Dans l’Evangile de ce jour Jean le baptiste est envoyé préparer le terrain pour Jésus.
Quand Jean arrive sur le devant de la scène, il rappelle ces insolites prophètes pourfendeurs des politiciens corrompus. Il est vêtu d’un rugueux manteau fait en poils de chameau, se nourrit de sauterelles et de miel sauvage… Jean déteste les centres commerciaux bondés avec musique de Noël. Donc pour le trouver direction le désert ! A son époque le désert était considéré comme étant l’habitation des démons. Un lieu redouté sauf pour les intrépides de la trempe de Jean, d’Agar et de Jésus.
Curieusement c’est une femme qui avant eux avait affronté l’impitoyable désert avec le plus de panache. Agar, la servante d’Abraham, chassée par Sarah qui en était jalouse s’y était réfugiée. Le désert deviendra pour Agar un lieu de lutte pour la survie et le lieu de la rencontre avec Dieu. Ce désert est un lieu hostile qui est aussi lieu où son âme devient forte. Refusant le sort funeste qui lui est assigné Agar rencontre Dieu. Elle affronte son destin et en ressort plus forte. Forte comme toutes les femmes qui à sa suite auront à affronter d’autres déserts. Celui de la misogynie, du patriarcat, du harcèlement et de la relégation dans les marges de la société. Agar est un combattante, comme Marie mère de Jésus et Marie de Magdala, comme Elisabeth femme de Zacharie et Elisabeth Badinter, Simone Weil ou la prochaine présidente des Etats-Unis Kamala Harris et tant d’autres qui se battent pour la cause des femmes.
Le désert est un espace où la foi est éprouvée, les plus téméraires habitantes de Jérusalem iront y écouter Jean attirées qu’elles sont par un homme différent et en marge dont l’authenticité et la rectitude sont incontestables.
Puisse cette rencontre avec le redoutable baptiste nous faire mieux entendre ceux qui ouvrent la voie à plus de justice sociale, à plus de responsabilité politique et climatique et à plus de démocratie.
Les Assanges, les Brockovitch, les Snowden, les Thunberg, les Metoo et le Morgien Jacques Dubochet, ceux qui luttent contre les violences faites aux femmes et ceux qui luttent contre les violences faites au climat, à la terre et aux animaux qu’on exploite à souhait.
Voir et entendre ceux qui au prix de toutes les difficultés ouvrent des chemins. Comme Jean, ils ouvrent des chemins là où sans eux cela nous semblait impossible.
R. Falo
Photo by Pablo Garcia Saldaña