J’ai une routine hebdomadaire qui est le deal petit déjeuner de la Manora : six mini portions plus une boisson chaude pour six francs. Cette semaine quand la serveuse m’a demandé si je voulais un chocolat chaud au chocolat noir, au chocolat au lait ou au chocolat blanc, j’ai répondu mécaniquement : « au chocolat blanc. ». L’instant d’après je percevais notre gêne à tous deux, elle étant café au lait et moi blanc. Je réalisais tout ce que ma réponse pouvait comporter d’insinuations, de goujaterie et de maladresse.
Certes, certaines personnes peuvent voir des insinuations racistes là où il n’y en a aucune, mais l’émission passant le soir même sur FR.2 intitulée « Être noir en France » allait dans l’autre sens démontrant à l’envie la prévalence d’un racisme rampant. Le procès du meurtrier de Georges Floyd et le mouvement Black Lifes matters ont certes fait sauter quelques verrous, il n’empêche qu’il reste un bon bout de chemin avant que les préjugés raciaux fassent partie de l’histoire ancienne.
Bien sûr, je parle depuis le bon côté de la barrière. Je ne suis pas celui qui se sent méprisé, dénigré ou regardé de manière entendue.
Je n’ai jamais été noir et je ne peux pas savoir ce que c’est que d’être un membre noir d’un club ou entreprise à prédominance blanche. Où chaque faute ou faux pas est considéré comme typique d’une «race» entière – tandis que les défauts des blancs ne sont considérés que comme étant ceux d’un individu.
Je n’ai jamais été une femme se heurtant au plafond de verre dans le monde de l’entreprise où chaque mot et geste, est perçu comme l’expression de la fragilité ou de l’imprévisibilité féminine.
Peut-être n’en serions-nous pas là si Jésus avait été noir, et pourquoi pas une femme noire. Nos préjugés auraient certainement trouvé à s’exprimer sur autre chose que la couleur de notre peau ou nos organes reproductifs.
Annette John-Hall est une journaliste noire souvent primée pour son podcast «Real Black History», un podcast sur les problèmes affectant les noirs dans la région de Philadelphie. Elle raconte ce que c’est en tant que noire de croire en un Jésus que la majorité vous a programmé à imaginer blanc :
« Quand j’étais jeune, Jésus m’accueillait tous les jours chez ma grand-mère. Une copie encadrée de la « Tête du Christ » de Warner E. Sallman ornait le mur sur sa porte d’entrée. Jésus ressemblait à un surfeur bronzé, aux cheveux bruns striés de miel et des yeux bleus qui regardaient le ciel avec bienveillance.
Le Tout-Puissant ne me ressemblait en rien, et alors ? Cela ne m’a certainement pas fait remettre en question ma foi ou mon estime de moi, car mon expérience religieuse était ancrée dans la tradition de l’Église épiscopale méthodiste africaine.
De la chorale entièrement noire qui chantait à l’église aux mères noires de l’église qui ont prié sur moi au pasteur noir qui prêchait, oui, Jésus aimait mon petit moi chocolaté, ma noirceur était continuellement validée.
Chez ma grand-mère, j’étais plus préoccupée par le fait qu’elle me crie dessus pour avoir claqué la porte que par le Jésus blanc accroché juste au-dessus.
Mais une fois que j’ai pris conscience de ma place dans le monde, j’ai réalisé que l’image était un outil puissant à travers lequel la suprématie blanche opérait. La blancheur a toujours été la valeur par défaut pour définir tout ce que l’Amérique juge digne : normes de beauté, vrai patriotisme, innovateurs, intellectuels et dépositaires du pouvoir. Même notre attribut le plus sacro-saint — la spiritualité — exige que nous priions un Dieu présenté comme blanc, un Dieu auquel on nous a programmés à croire »
Ces temps je montre à mes résidents en EMS des Saintes famille peintes par des artistes africains ; Jésus, Marie et Joseph sont noirs et cela nous fait bien rire d’un rire bienveillant et exempt de méchanceté. Peut-être qu’après tout en vieillissant nous devenons plus sages et tolérants.
Richard Falo
Image: « Pantocrator in Black and Brown » de Brian Behm, St. Stephen’s Episcopal Cathedral de Harrisburg, Pennsylvania.