Maltraitance animale, un épisode biblique

La maltraitance animale, liée à la question climatique et à la pression des marchés sur les éleveurs est un des sujets qui ne peut qu’occuper l’espace public dans l’avenir. 

De tous les nombreux animaux mentionnés dans la Bible, deux d’entre eux soudain se mettent à parler: le serpent du jardin d’Eden qui est à l’origine du récit de la chute et l’ânesse maltraitée du devin Balaam qui prend la parole pour s’en plaindre et voit un ange venir à sa rescousse. Cet épisode rocambolesque sous la forme du conte oriental pose la question, aujourd’hui largement médiatisée, de la cruauté exercée sur l’animal.  

L’ânesse qui parlait  

L’histoire est la suivante: « Le roi de Moab craignant la puissance militaire d’Israël essaie de dévoyer un devin pour qu’il maudisse le peuple élu. Après quelques hésitations le prophète tourmenté se met en route. « … comme il partait, la colère de Dieu s’enflamma et l’ange du Seigneur se posta sur le chemin…. l’ânesse vit l’ange du Seigneur posté sur le chemin, son épée dégainée à la main ; elle quitta le chemin et prit par les champs. Balaam frappa l’ânesse pour la ramener sur le chemin. Alors, l’ange du Seigneur se plaça dans un chemin creux qui passait dans les vignes, entre deux murets. L’ânesse vit l’ange du Seigneur et se serra contre le mur, serrant ainsi le pied de Balaam contre le mur, et Balaam se remit à la frapper. L’ange du Seigneur les dépassa encore une fois et se plaça dans un passage étroit où il n’était possible de dévier ni à droite ni à gauche. L’ânesse vit l’ange du Seigneur et se coucha sous Balaam qui s’enflamma de colère et la frappa de sa cravache. Alors le Seigneur ouvrit la bouche de l’ânesse qui dit à Balaam : « Que t’ai-je fait pour que tu me frappes par trois fois ? » Et Balaam dit à l’ânesse : « C’est que tu t’es moquée de moi ! Ah ! si j’avais à la main une épée, à l’instant je te tuerais ! »  Et l’ânesse dit à Balaam : « Ne suis-je pas ton ânesse, celle que depuis toujours tu ne cesses de monter ? Ai-je l’habitude d’agir ainsi à ton égard ? » Et lui répondit : « Non ! » Alors le Seigneur dessilla les yeux de Balaam qui vit l’ange du Seigneur posté sur le chemin, son épée dégainée à la main. Balaam s’inclina et se prosterna sur son front. L’ange du Seigneur lui dit : « Pourquoi as-tu frappé ton ânesse par trois fois ? L’ânesse m’a vu, elle, et, par trois fois, elle s’est détournée de moi. Si elle ne s’était pas détournée de moi, c’est toi qu’à l’instant j’aurais tué. Mais elle, je l’aurais laissé vivre. «  Nombres 22: 2-24

L’ Ânesse de Balaam, Rembrandt

Dans la littérature biblique l’âne est présenté comme un compagnon fidèle et intuitif duquel on peut dépendre (1S 25:20-35; 2Rs.4:24). Très prudent, doté du sens de l’observation hérité de son ancêtre africain il pouvait comme ici reculer devant un ange armé, mais il pouvait aussi faire office de chien de garde dans l’enclos des brebis et chasser des ennemis plus ordinaires. Pour toutes ces qualités on lui témoignait dans l’antiquité un grand respect, il n’est donc pas étonnant que la tradition l’associe à la naissance du Christ et que ce dernier entre dans Jérusalem monté sur un âne conformément à la parole du prophète Zacharie (Za 9:9). La protection juridique dont il bénéficiait obligeait quiconque témoignant d’une maltraitance à venir le secourir (Ex. 23:5, Dt. 5:14). 

L’homme occupant le centre de l’univers ou comment éluder la question de la maltraitance animale

Comment donc comprendre ce récit des déboires de ce devin et de son ânesse parlante ? Le rabbin Laura Duhan Kaplan dans son Biblical Soul-Making through Hillman’s Lens cite longuement J. Hillman, qui adopte une lecture psychologisante. Hillman comprend l’histoire de Balaam comme une illustration des tourments  intérieurs du devin tiraillé à l’idée de se vendre à l’ennemi au risque du courroux divin. Selon lui, le devin projette sur son ânesse sa confusion mentale. Grâce à cette externalisation de ses sentiments il voit enfin la réalité, un processus qu’Hillman appelle « Soul-Making » ou construction de l’intériorité.

Comme on pouvait s’y attendre cette interprétation anthropo-centrée typique des années 70 minore le rôle de l’ânesse pour se concentrer sur les tourments de l’homme. L’homme dont seul la souffrance compte et par qui tout se mesure semble penser Hillman. Mais venant du champ de la psychologie comment pourrait-il en être autrement ? 

Sans la perception supra sensorielle de son ânesse Balaam serait mort.

Dans cette histoire extravagante et délicieuse les rôles respectifs de l’homme et de l’animal sont inversés. C’est l’ânesse qui est dans le vrai et l’homme dans l’erreur. Balaam le voyant ne voit rien, manière de dire que ces devins et voyants ne sont que des charlatans, l’ânesse elle voit, et sans la perception supra sensorielle de son ânesse Balaam serait mort. C’est elle qui voit l’ange avec son épée tirée et c’est elle qui prend la décision adéquate.  Le devin lui est aveuglé par son anthropocentrisme qui ne lui permet pas d’imaginer une seule seconde que l’animal saurait quelque chose qu’il ne voit pas lui le voyant. Ulcéré il se laisse aller à la violence.  Ce n’est qu’avec le dialogue avec l’ânesse qu’il commence à entrevoir la réalité et passe d’un rapport de subordination à quelque chose plus approchant de la complémentarité. 

L’ânesse de Balaam et les rabbins.

L’ânesse de Balaam était un fidèle compagnon qui l’avait servi jusqu’à ce jour: “me’odcha ad hayom hazeh” littéralement  « encore et encore pour toi jusqu’à ce jour » .  Le texte hébreu insiste sur la fidélité sans failles de l’animal jusqu’à ce jour où elle lui désobéit afin de lui épargner la mort. Battue par trois fois, elle va se résigner à parler. Cette ânesse peu ordinaire est curieusement mentionnée dans un texte rabbinique classique:

« dix choses ont été créées au soir du premier shabbat: La bouche de la terre qui a englouti Korach, Dathan et Abiram, la bouche du puits qui a abreuvé les hébreux dans le désert, la bouche de l’âne qui a parlé à Balaam, l’arc-en-ciel qu’a vu Noé, la manne qui a nourri le peuple, le bâton de Moïse qui a partagé les eaux,  le Shamir qui a taillé les pierres du Temple, les tables de la Loi, les tables et les burins qui les ont gravées. »  Pirkei Avot, c.200 CE dans : Kravitz and Olitzky, A modern… 

Il est curieux de trouver l’ânesse de Balaam dans une liste aussi prestigieuse que celle des grands moments historiques de l’histoire du peuple hébreu. À l’évidence ce qui est important ce n’est pas que soudain elle parle mais c’est le contenu de ses paroles. Dans la question de l’ânesse est contenue le scandale de l’innocent qui souffre injustement prisonnier d’un rapport de domination absolue.  L’animal pourtant tiré de la même glaise qu’Adam et Ève, cousin dans l’ordre créationnel en est réduit à simple bête de somme que l’on exploite à loisir.  Cette violence qui s’applique de manière injustifiée sera à nouveau soulignée par l’ange qui est pourtant avare de paroles. Ce thème classique du serviteur souffrant développé par Isaïe est le thème central du récit de la passion.  

Pas de violence autorisée d’un côté et proscrite de l’autre. 

La question de l’ânesse évoque immédiatement la question que Jésus pose au garde du Sanhédrin qui le frappe lors de son procès: « …si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? «  (Jn 18: 23). Cette ânesse parlante apparaît comme une sorte de préfiguration de la figure du nazaréen qui lui aussi voit ce que nous ne voyons pas, essaie de nous détourner des dangers de l’existence et questionne la violence dont il est victime. 

À l’heure de l’exploitation industrielle des animaux que nous ne nous contentons pas de frapper mais d’exterminer méthodiquement, la voix de cette ânesse sur la violence faite aux animaux apparaît comme une question qui est loin d’être anecdotique pour les auteurs des textes sacrés anciens.  Notre texte semble souligner qu’il n’y a pas de violence qui serait autorisée en ce qui concerne l’animal et qui à l’inverse serait à proscrire quand elle est infligée à l’homme. 

Toute violence injustifiée qu’elle s’exerce sur l’animal ou sur l’homme est condamnable c’est ce qu’a l’air de penser cet ange qui se chargera de faire  comprendre au devin Balaam que le droit inaliénable de l’animal est de ne pas être maltraité, que sa perception de l’invisible est sans commune mesure avec la nôtre, et que sa bienveillance envers nous est aux antipodes des violences que nous lui infligeons. 

Richard Falo, pasteur 

Hillman, J. (1975). Revisioning psychology. San Francisco, CA: Harper.

Kravitz, L. and Olitzky, K.M. (Ed.). (1993). Pirket Avot: A modern commentary on Jewish ethics. New York, NY: UAHC Press.

Laura Duhan Kaplan. (2014) Biblical Soul-Making through Hillman’s Lens, Academia.edu

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