Le jour où on a annoncé que les premiers pas d’un homme sur la lune seraient retransmis à la télévision mon père en a acheté une.
A l’époque il n’y avait qu’une chaîne et elle était en noir et blanc. Les magnétoscopes n’existaient pas plus que Netflix, la VOD, le streaming ou le replay, et si vous aviez raté un bon film vous n’aviez plus qu’à prier qu’on le rediffuse. C’est ainsi que j’ai raté plus d’un épisode de Zorro pour jamais…
L’histoire de Thomas est aussi celle d’une occasion ratée, celle de la première apparition du Jésus ressuscité.
En ce premier dimanche aprés la Pâque les disciples se cachent. Ils ont vu ce que les autorités politiques ont fait à Jésus et ils craignent à présent de subir le même sort. Le matin même Marie de Magdala est allé au tombeau et le trouvant vide, elle vient tout leur raconter : le jardinier, les anges et les paroles de Jésus qu’elle a vu vivant de ses propres yeux. Son récit les plonge dans la confusion la plus totale… Alors qu’ils se demandent s’il faut croire Marie Jésus leur apparait là au beau milieu de la pièce. Ils l’ont vu se faire crucifier et voilà qu’il est là avec eux bien vivant; il leur parle de paix, de pardon, puis souffle sur eux l’Esprit Saint. Ils n’y comprennent rien et pourtant il est là à leur parler devant leurs yeux incrédules.
C’était après la mort de Jésus, le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas. Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux.Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-là dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Jean 20,19-31
Tous ont assisté à ce moment unique, tous sauf Thomas. Où donc se trouvait Thomas en ce premier dimanche ? Sans doute avait-il une bonne raison pour ne pas se joindre aux autres alors qu’ils étaient en prise à l’angoisse et au désarroi. Peut-être s’était-il confiné en lieu sûr…
N’étant pas avec eux, il a raté ce moment unique et pendant sept jours il va endurer le récit des apôtres. N’en pouvant plus de ces descriptions de ce qu’il estime être une auto-persuasion il leur dit qu’à moins de mettre son doigt dans les plaies du Christ il ne croira pas. Les jours passent et Thomas attendra toute une semaine avant que Jésus ne leur apparaisse à nouveau. Thomas qui avait manqué la première apparition doit attendre et pendant qu’il attend nous apprenons une chose :
Si tu veux voir le Christ ressuscité ne reste pas à l’écart de ta communauté.
S’il avait été avec les autres, il aurait vu le Jésus ressuscité mais voilà…il n’était pas là !
En période normale le printemps est pour les Églises l’époque des baptêmes et des confirmations. On a l’impression que Dieu est agissant, qu’il est présent. Un baptême ce n’est pas un simple rite, il nous rappelle que chacun est bienvenu dans la communauté des croyants et que c’est là dans la communauté que la foi se vit et pas dans l’isolement. Nous n’avons pas à marcher seuls sur le chemin de la foi, nous n’avons pas à répondre seuls aux questions qui nous assaillent sans l’aide et le soutient de nos frères et sœurs. Nous sommes membres du corps de Christ et c’est là dans la vie de l’Église que le Christ se révèle. C’est là que nos vies sont transformées au contact d’autres croyants.
Il est tendance de parler spiritualité, mais nombreux sont ceux qui disent ne pas avoir besoin d’une paroisse ou communauté pour développer et nourrir une spiritualité. A les croire l’Eglise est le lieu de la tradition et d’un rituel poussiéreux mais pas celui de la spiritualité. L’histoire de Thomas nous dit le contraire.
Pendant toute une semaine Thomas a écouté ce que les autres racontaient, comment Jésus était, ce qu’il leur avait dit, et comment ils se sentaient transformés par sa présence. J’imagine que Thomas s’est bien senti mis de côté dans les discussions; pour une étrange raison il avait décidé d’être ailleurs et entre les lignes on sent sa déception.
L’histoire de Thomas nous montre bien qu’on ne peut grandir dans la foi sans ces autres qui nous épaulent, accompagnent et parfois bousculent. La marche avec le Christ ne se pratique ni en solitaire ni dans l’isolement c’est ce que relate Luc dans sa description de la toute jeune Église primitive. Les croyants mettaient tout en commun et vivaient par la communauté. Loin de s’isoler ils se réunissaient quotidiennement. C’est dans l’être-ensemble que l’Eglise primitive s’est construite.
Il est commode de vivre isolés les uns des autres, mais si nous nous isolons les uns des autres quels pieds laverons-nous ? Si nous nous isolons, quels fardeaux, qu’elle croix aiderons-nous à porter, qu’elle blessure soignerons-nous, qu’elle larmes sécherons-nous ? Si nous nous isolons comment verrons-nous le Seigneur agir dans la vie de ceux qui nous entourent ?
La rencontre est un besoin vital, c’est ce que les mesures radicales et prolongées prises dans certains pays comme la France pour lutter contre la pandémie montrent à l’envie : quand un confinement reste sourd au besoin vital de la rencontre nous allons tout droit vers des détresses psychologiques dont on se demande si nos gouvernants ont pris la mesure.
La pandémie a amené certains croyants à se couper du monde et de leur communauté. C’est une grave erreur car comme Thomas l’a bien compris c’est dans la communauté des frères et sœurs confrontés aux doutes et à l’angoisse que depuis 2000 ans le Christ ressuscité se révèle.
Richard Falo