Quand les pasteurs quittent le bateau

Une des conséquences de la crise Covid aux USA est la démission en masse d’employés qui, restrictions obligent, ont découvert qu’une vie exempte de petits chefs qui vous pourrissaient la vie était possible. 3% des employés aux USA refusent désormais de travailler au rabais dans des relations de travail qu’ils ne jugent plus épanouissantes. Great Resignation. Ce qui est nouveau c’est que des pasteurs envisagent de démissionner pour des raisons similaires. 

Un sondage de l’institut Barna –spécialisé dans les tendances religieuses– auprès de 980 pasteurs américains entre avril et novembre 2021 paru dans Leaders and Pastors  poll data confirme le ras le bol exprimé ici ou là par nombre de mes collègues — les directions d’Eglise étant muettes sur le sujet, cet institut de sondage a été mandaté par Vanderbilt University –. Aux USA 38% des pasteurs ont envisagé de quitter le ministère en 2021. Pour la tranche sous les 45 ans le taux était de 46%. 

Quand on demande les raisons de ce mal-être pastoral les réponses vont des frictions résultant des mesures sanitaires imposées par la pandémie, au manque de reconnaissance qui se manifeste par des salaires en dessous du standard pour un poste à responsabilité égale et surtout l’impression de friser le burnout.

« Certains d’entre nous sont à la fois concierge et secrétaire en semaine et prédicateur le dimanche avec pour résultat que nulle part nous ne sommes vraiment à la hauteur… Mes collègues épuisés quittent leur cure l’un après l’autre » confie une collègue. How Burnout Robs Our Spiritual Lives

La raison pour laquelle la majorité des pasteurs continuent dans des jobs exposés et sujets à une critique facile est qu’ils ont le privilège d’être au cœur d’une communauté de foi regroupée autour du Christ. Etre le témoin privilégié de l’interaction avec des hommes et des femmes autour de questions spirituelles voilà la motivation qui les a fait postuler. Puis la réalité les a rattrapés et un nombre croissant de pasteurs s’épuisent dans un ministère aux casquettes multiples imposées par la réduction des budgets et des ressources paroissiales. Comme dans d’autres secteurs, avec la réduction des ressources humaines la charge administrative — souvent désignée comme « paperasse »– se reporte mécaniquement sur l’occupation du temps pastoral.

Si le pasteur était à l’aise avec les relations interpersonnelles et la recherche de sens il l’est beaucoup moins avec la gestion des outils bureautiques et organisationnels qui vont de l’élaboration d’un tableur Exel à l’installation de ZOOM puisTEAMS… à un moment l’impression d’être devenu une sorte d’homme ou femme orchestre qui joue plus ou moins bien des instruments qu’il a sur le dos devient pesante. On finit par réaliser que le coeur de notre mission — la prédication et l’accompagnement spirituel de personnes– arrivent loin derrière dans la liste des priorités. La pandémie, en nous isolant les uns des autres et en réduisant drastiquement nos interactions, n’a fait qu’accentuer ce désenchantement et ce sentiment de lassitude et de fatigue observé dans tous les secteurs du care.

Comme le souligne Pierre-Yves Geoffard « La fatigue… c’est celle de toutes et tous, ballotés de confinements en couvre-feux, épuisés par des injonctions contradictoires, évoluant au fil d’une compréhension de la pandémie en constante évolution.  Il fallait agir vite, courir sans savoir dans quelle direction ni combien de temps, mais on n’attaque pas un marathon comme on se prépare au sprint. Cette fatigue est périlleuse. Le risque est réel qu’elle se transforme en épuisement, et que cet épuisement paralyse toute envie d’agir au point qu’elle nous rende insensibles au monde. « 1

A l’instar de ce qu’on observe dans d’autres secteurs, le fonctionnement de l’institution et de ses rouages administratifs semblent prendre toujours plus de place, repoussant dans les marges le coeur du ministère pastoral et ce qui lui donnait sens: les gens.

La pasteure mennonite Mélissa Florer-Bixler qui a publié dans Sojourners l’article qui est à l’origine de ma publication exprime ce malaise pastoral qui résulte de ce cocktail constitué de cette insensibilisation induite par la pandémie et d’une bureaucratisation qui nous rive toujours plus à nos écrans. :

« Mes amis qui quittent le ministère n’ont pas abandonné l’Évangile ou le corps de Christ. Mais ils croient aussi que l’Évangile n’est une bonne nouvelle que s’il est vécu dans la vie de ceux qui revendiquent notre foi commune. Ce n’était jamais notre travail en tant que pasteurs d’empêcher l’église institutionnelle de se dissoudre. Nous ne sommes pas des artistes spirituels. Nous n’avons pas entrepris ce travail pour rivaliser sur le marché de la création de sens. Nous ne construisons pas d’institutions. L’église institutionnelle est une expérience et comme toutes les expériences, elle peut échouer. Quand c’est le cas, nous attendons avec espérance de voir comment Dieu se manifestera par la suite. » 

  1. Pierre-Yves Geoffard, Que faire de notre fatigue ? in Une société fatiguée ?, 2021 éd. CFDT et Fondation Jean-Jaurés, en accés libre sur leurs sites 

Richard Falo

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